Dessin de Gavarni, gravure de Soyer – 1841/1842
L'éducation spécialisée est aujourd'hui un vaste secteur d'activité qui concerne la prise en charge de toutes les formes d'inadaptation (physiques, mentales / psychologiques, sociales / comportementales) à tous les âges de la vie. Nous avons limité notre recherche au champs de l'enfance et de la jeunesse " irrégulières ". L’encadrement de cette population, essentiellement issue des classes populaires, n'est pas un problème nouveau comme le montre bien les propos de Tissot que nous venons de citer même s'il " bénéficie " aujourd'hui d'un regain d'intérêt médiatique et politique.
Le vaste secteur de l'éducation spécialisée commence à se constituer dès le XVIIIe siècle, quand la pratique de l'enfermement dans un même établissement, l'hopital général, de toutes les laisser pour compte est remis en cause. On commence alors à trier les populations et à chercher des solutions différentes selon les catégories. La fondation de l'institut des sourds-muets par l'abbé de L'Épée, le mémoire d'Itard sur l'enfant sauvage de l'Aveyron sont deux jalons de cette construction. Mais c'est surtout à partir du XIXe siècle que la pédagogie spécialisée prend son essort : pour que l'éducation des " anormaux " et des " déviants " se développe, il faut que l'éducation " ordinaire " se démocratise.
La population juvénile particulière qui nous intéresse a été divisée en de multiples catégories. Pour chaque sous-ensemble, on a imaginé des institutions et des pédagogies adaptées. Au delà des différences entre les formes de prise en charge, nous pouvons regrouper les interventions sous trois grandes rubriques.
- L’intervention en milieu « naturel ».
Dans tous les secteurs de la " rééducation ", handicape,
délinquance, maladie mentale, déficience, nous trouvons des
formes de prise en charge en " milieu naturel" où le jeune
n'est pas isolé de la société, où il reste intégré dans
les dispositifs de droit commun, notamment l'école (2). À l'origine
de ce type d'action socio-pédagogique nous trouvons notamment le patronage.
Cette " unique invention institutionnelle de la philanthropie du
premier XIXe siècle (3) ",
a vu ses principes systématisés
par le Baron de Gérando. Son livre, Le visiteur du pauvre,
publié pour
la première fois en 1820 (4),
peut être considéré comme
le manifeste doctrinal et le manuel pratique de cette forme d'action sociale.
Primitivement destinée à la famille pauvre, la " touchante
magistrature " des gens de bien est réorientée vers des
populations plus précisément déterminées : " En
l'espace d'une vingtaine d'années, le projet originel du patronage
des familles s'est trouvé converti en un réseau d'actions tutélaires,
d'abord centrées sur l'enfance ouvrière, puis étendues,
de proche en proche, à l'enfance
menacée, aux jeunes ouvriers, aux malades, aux faibles, à la
population délinquante (5).
Si le terme de patronage s'applique parfois à des
institutions de préservation très fermées, qui n'évitent
pas toujours une dérive carcérale, il désigne généralement
un mode d'aide et de surveillance en "milieu naturel". Pour les
délinquants juvéniles, ce dispositif a les faveurs du Comte
d'Argout, ministre du commerce en charge des prisons, qui dans sa circulaire
de 1832 recommande le placement en apprentissage des enfants acquittés
comme ayant agi sans discernement et invite "les membres des commissions
des prisons ou des administrations charitables ]...[ à s'assurer fréquemment
des résultats de l'éducation morale et industrielle qu'ils recevront” (6)
. Le patronage accompagne souvent un placement en apprentissage chez un particulier.
Pour les « enfants de justice », on cherche à instituer
un patronage post-pénitentiaire. Dès 1824, à Strasbourg,
la mise en place d'un quartier réservé aux jeunes détenus
est accompagné de la création d'une telle structure.
Le patronage est " l'ancêtre " de toutes les formes d'intervention dites " en milieu ouvert " notamment de la Liberté surveillée institu ée en 1912.
- Les établissements spécifiques. Jeunes délinquants, orphelins, apprentis indigents, enfants pauvres… sont aussi pris en charge dans des institutions spécialisées. Les colonies agricoles, utilisées pour toutes sortes de populations (7), forment, au XIXe siècle, le type le plus connu d'établissement éducatif. Des institutions plus anciennes, notamment les orphelinats, continuent de fonctionner. D'autres structures voient le jour qui prennent en charge l'éducation professionnelle et technique des enfants « délaissés » comme le patronage Saint-Nicolas, ou l'école des mousses de Marseille étudiée par Laurence Américi (8). Durant le second vingtième siècle, les structures spécifiques se multiplient et se diversifient. Ces institutions souvent "totales (9)" n'évitent pas toujours le pi ège de l'exclusion.
- La prison. Réservée aux seuls "enfants de justice" la prison est la troisième voie de prise en charge de l'enfance irrégulière. Au XIXe siècle, la prison spéciale pour enfants, en dehors de quelques quartiers plus ou moins réservés dans les grands centres de détention provinciaux, ne devient réalité qu'à Paris avec l'attribution aux mineurs de la Petite Roquette, initialement prévue pour doubler la prison de femmes de Saint-Lazare. Il s'agit d'élaborer une prison qui ne présentera pas les inconvénients de la prison. Programme hautement utopique que l'on retrouve tout au long de l'histoire. Basée sur le modèle philadelphien d'isolement permanent, la Petite Roquette appartient à ces réalisations philanthropiques qui font dire à Alphonse Karr "Aucun des criminels qu'ils tourmentent n'est aussi ingénieux en férocité que le plus doux des philanthropes. "